Après les directives européennes Marchés publics et TVA, la loi dite Macron viendra parachever la transformation numérique des échanges de factures. L’occasion d’un probable total changement de paradigme pour les acteurs du domaine.
La fin de la décennie va être marquée en France par une révolution du domaine des échanges de factures. En effet, l’article pour l’instant numéroté 61bis du projet de loi pour la croissance et l’activité, autrement appelée loi « Macron », votée au Sénat le 12 mai dernier et qui terminera son parcours législatif avant la fin de l’été, autorise le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances pour « permettre le développement de la facturation électronique dans les relations entre les entreprises, par l’institution d’une obligation, applicable aux contrats en cours, d’acceptation des factures émises sous forme dématérialisée, entrant en vigueur de façon progressive pour tenir compte de la taille des entreprises concernées ».
Un monde asymétrique
Cette obligation de recevoir, à laquelle les grandes entreprises aimeraient voir ajouter une obligation d’émettre, vient bouleverser le schéma traditionnel des échanges de factures dématérialisées, fondé sur une logique de rapport de force, que le « fort » impose au « faible ». Dans cette logique, l’entreprise qui engage un projet de dématérialisation des factures sortantes impose à ses clients un mode réception, et celle qui le fait pour ses factures entrantes impose un mode d’émission. Les TPE et PME subissent depuis de nombreuses années cette relation asymétrique qui rend le circuit de validation ou de transmission des factures parfois plus complexe à gérer pour l’électronique que pour le papier. Dans ce même monde des TPE/PME, la relation avec l’expert comptable est encore trop souvent fondée sur un échange de papiers et les coups de tampon qui attestent de la bonne prise en compte de la facture. La dématérialisation fonctionne à sens unique.
L’obligation de recevoir quoi, quand et comment ?
L’article d’habilitation, on l’a lu, est peu disert sur les aspects concrets, que l’ordonnance et sans doute des décrets d’application viendront préciser. Néanmoins il y a fort à parier que les obligations imposées dans le cadre des marchés publics seront adaptées au cas des échanges inter-entreprises de manière à coordonner et simplifier la transformation.
Le calendrier de l’ordonnance 2014-697 du 26 juin 2014 relative au développement de la facturation électronique transcrit en droit français la Directive 2014/55/EU et impose d’ores et déjà aux entreprises d’émettre des factures électroniques si leur client est dans la sphère publique, dès le 1er janvier 2017 pour les grandes entreprises et au plus tard le 1er janvier 2020 pour les TPE et auto-entrepreneurs. Ce calendrier, simplifié et raccourci, sera très certainement celui de notre « obligation de recevoir ».
La définition de la facture électronique dans la directive sus-nommée est « une facture qui a été émise, transmise et reçue sous une forme électronique structurée qui permet son traitement automatique et électronique ». Le Comité Européen de Normalisation (CEN) est chargé par la Commission d’établir avant fin mai 2017 une norme sémantique de la facture électronique structurée ainsi que son implémentation au travers d’une à cinq syntaxes qui devront obligatoirement être acceptées par le secteur public, sans préjudice d’autres formats que tel ou tel état membre ou telle relation bilatérale pourrait accepter en complément. Pour la France, les factures adressées à toute entité de la sphère publique le seront via une solution développée et opérée par l’Agence Informatique Financière de l’Etat (AIFE) baptisée Chorus Portail Pro 2017 (ou CPP 2017) permettant la réception de factures électroniques dans les formats européens ci-avant, mais aussi le téléchargement de factures PDF accompagnées de la saisie ou la validation par l’émetteur d’une dizaine d’informations essentielles pour leur traitement par le destinataire.
Dans le cadre des échanges interentreprises, la volonté de rompre l’asymétrie devrait militer pour une obligation d’acceptation de la solution la plus simple, un PDF transmis dans un email accompagné ou pas de données de routage et de prétraitement. Mais sans doute ne sera-ce qu’une première étape, et devant le besoin évident des clients à disposer d’un minimum d’informations fiables sous forme de données structurées permettant un traitement automatisé, les entreprises, les fournisseurs de services, des banques et des associations professionnelles travaillent depuis plusieurs mois au sein du Forum National de la Facture électronique, à la publication d’un format dit mixte, composé d’une facture pdf qui contient en pièce jointe un fichier de données essentielles facilement exportables pour une PME. Cette solution de facture mixte , permet de disposer d’une facture double-face, le coté pile en pdf pour une visualisation et utilisation humaine, et le coté face avec un fichier structuré pour un traitement par les machines.
Fondée sur la norme PDF/A-3, cette approche a été aussi développée en parallèle par le Forum National Allemand dénommé ZugFerd. Sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, d’autres pays commencent aussi à s’associer à cette démarche pragmatique et rapidement accessible pour les PME. Sans en faire une obligation, le marché pourrait ainsi en faire une norme de fait pour les échanges par défaut, laissant la liberté aux acteurs souhaitant une plus grande richesse de données structurées de s’accorder par ailleurs sur l’utilisation d’un des formats d’implémentation de la nome européenne de la facture électronique structurée, voire sur un autre.
Adresse et transporteur
Le troisième élément de notre interrogation est le comment. Comment la facture préparée par une petite entreprise peut-elle arriver plus rapidement, à moindre frais et surtout plus certainement au bon endroit dans la grande entreprise qui l’a choisie comme fournisseur ? Alors que de nombreuses grandes entreprises rationnalisent leur organisation des achats et de comptabilité fournisseurs à Prague ou Varsovie, l’envoi d’une facture par la Poste, bien que très fiable, est toujours une angoisse pour la petite entreprise à moins qu’elle ne renchérisse le coût d’émission en passant par un transporteur privé. Dans ce cas comme dans bien d’autres, la garantie d’acheminement et la quasi-instantanéité associées à un système électronique seront les bienvenus.
La bonne transmission nécessite une adresse de destinataire précise et un transporteur fiable. Le Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique (SGMAP) a initié en mode start-up un projet d’identité numérique des particuliers mais aussi des entreprises qui apportera sans doute un élément de réponse. D’autres pistes sont investiguées, comme le recensement par une administration à qui tout le monde parle déjà de manière électronique (la DGFiP par exemple) d’une adresse électronique destinée à recevoir les factures.
Le transporteur quant à lui se devra d’être fiable. Les messageries électroniques, avec accusé de réception, sont sans doute déjà assez fiables, mais d’autres moyens verront certainement le jour.
Le projet de messagerie interbancaire SEPAmail apporte une solution, parmi d’autres, qui assurera l’universalité du transport sécurisé en France, tous les acteurs de la vie économique étant bancarisés. Solution sécurisée par essence d’un bout à l’autre de la chaîne, elle affranchit les entreprises émettrices de discussions complexes avec leurs clients et leur garantit le bon acheminement. Chaque banque peut, si elle le souhaite, apporter un niveau de service complémentaire à son client, paiement en ligne et transmission de données à l’expert-comptable pour les petites entreprises, transmission de fichiers à intégrer dans l’ERP pour les plus grandes, financement du poste client ou du fournisseur pour toutes, ou toute autre innovation.
Pour une obligation qui fasse avancer la cause de la simplification
La réduction des délais de paiement passe certainement par la réduction des délais de transport que permet le passage d’un feuille de papier envoyée par la Poste à son image pdf émise par courriel, mais l’effet induit sur le coût et le temps de traitement ne serait que très mineur. Le défi réside certainement dans l’automatisation de l’intégration et de certaines étapes des processus de validation et de bon à payer. Pour que les 250 grandes entreprises françaises comme les 3 millions de TPE y trouvent leur compte, l’écosystème devra assurer a minima le transport sécurisé et garanti d’une facture mixte.
Le compte n’est sans doute pas loin d’être bon, la révolution est proche et se fera sans alors sans heurts ni malheurs. Une première en France.
Article publié par Hervé Postic dans la lettre du trésorier N°325 Juin 2015